Cap Haïtien, autrefois joyau historique et fierté nationale, se drape aujourd’hui d’un voile de colère et d’incertitude à la veille d’une commémoration qui sonne faux. Alors que le pays s’apprête, en théorie, à célébrer le 222ème anniversaire de son bicolore, la deuxième ville d’Haïti est en proie à une tension palpable, symptôme d’un malaise profond face à une gouvernance qui semble avoir perdu tout contact avec la réalité du peuple.
Des pneus enflammés visibles dans les rues de La Fossette et de Cité Lescot ne sont pas de simples actes isolés ou de vandalisme. Elles sont l’expression d’une colère population, exaspérée, qui voit dans le déploiement fastueux annoncé pour les festivités du 18 mai une insulte à sa misère quotidienne. Comment ne pas comprendre cette indignation lorsque l’on apprend que l’État, incapable de garantir la sécurité de ses citoyens face à la terreur des bandits qui dictent leur loi, ose débourser la somme faramineuse de 400 millions de gourdes pour une cérémonie dont le sens même est aujourd’hui galvaudé ? Déjà la ville du Cap Haïtien est impropre à ces festivités. La commune de l’Arcahaie appelée « Cité du Drapeau » a été écartée pour des raisons de sécurité.
Ce chiffre ahurissant, comparé aux 90 millions alloués il y a deux ans et qui avaient déjà suscité les critiques acerbes de l’actuel Président du Conseil Présidentiel de Transition, Fritz Alphonse Jean, soulève une question lancinante : quelles sont les priorités de ces dirigeants ? Préfèrent-ils le clinquant éphémère d’une célébration coûteuse à l’investissement urgent dans la sécurité, la santé, l’éducation et l’assainissement d’une population qui suffoque sous le poids de la précarité ?
Le cynisme atteint son paroxysme lorsque l’on constate l’empressement suspect de l’État à céder du terrain aux groupes armés, leur offrant une quasi-impunité quotidienne.
La Police Nationale d’Haïti et l’armée se montrent incapables d’assurer la sécurité d’une poignée de personnes (9 présidents et 18 ministres et secrétaires d’Etat) pour fêter dignement comme à l’accoutumée la fête du drapeau à l’Arcahaie dans son symbolisme le plus profond, voire garantir la sécurité de la population entière. Dans ce contexte de chaos et d’abandon, comment peut-on sérieusement évoquer des référendums et des élections ? La légitimité d’un tel processus est d’ores et déjà compromise par l’incapacité de l’État à exercer sa fonction première : protéger ses citoyens.
L’incertitude qui plane sur la tenue même de la cérémonie au Cap Haïtien, avec les foyers de tension signalés à l’entrée Est à la Fossette plus précisément à Samari et au Sud de la ville, est l’illustration parfaite de cette déconnexion entre le pouvoir et le peuple. Les pierres et les bouteilles lancées par des habitants en colère sont un message clair : cette mascarade ne trompe personne.
L’ouverture récente en grande pompe d’un parquet dans un local jugé non conforme par les magistrats eux-mêmes, et ayant reçu un avis défavorable de la commission chargée de se prononcer sur le site, ajoute une couche supplémentaire de suspicion et de corruption à ce tableau déjà sombre, d’autant que des sources en général bien informées parlent de ”versement occultes” a des decideurs placés au timon des affaires de l’État. Ces agissements alimentent le sentiment d’une élite gouvernante déconnectée, plus préoccupée par ses propres intérêts que par le bien-être de la nation.
Le Cap Haïtien, jonché d’ordures et vibrant de colère, est le symbole criant d’un pays à la dérive, où les priorités sont inversées et où l’indifférence des dirigeants face à la souffrance du peuple confine à l’indécence. Ces 400 millions de gourdes, englouties dans une célébration potentiellement compromise, resteront une tache indélébile sur le bilan d’une gouvernance qui semble avoir perdu toute boussole morale et politique. Il est temps que les représentants de l’État entendent le grondement de la colère populaire avant que le volcan de la frustration n’entre en éruption.
La rédaction