Quand la corruption devient contagieuse à travers l’Aide américaine. Nous publions un article du Center for Economic and policy Research intitulé “Where Does the Money Go? A Look at USAID Spending in Haiti”, analyse les dépenses de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) en Haïti.
Alors que la corruption gangrène de nombreux pays en développement, la gestion de l’aide internationale continue d’alimenter des interrogations. L’Administration du Président américain, Donald Trump, a récemment annoncé un gel de 90 jours de l’aide internationale, dans un effort de réévaluation des dépenses fédérales.
Cette décision a entraîné l’arrêt complet d’une agence fondée sous l’Administration de Ronald Reagan et existant depuis 1950.
Loin d’être une surprise pour les Haïtiennes et les Haïtiens, cette enquête rappelle les nombreuses allégations de corruptions entourant la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH) après le séisme du 12 janvier 2010.
La question se pose alors :
Qui aide qui ?
Un proverbe haïtien résume bien la situation :
“Chodye a monte sou non Ayisyen, li desann sou non Ameriken”
Les chiffres révélateurs du financement de l’USAID en Haïti : 7,6 % des fonds de l’USAID ont été directement alloués à des organisations haïtiennes depuis octobre 2023.
368 millions de dollars ont été engagés en Haïti pour l’année fiscale 2024, mais si aucun programme ne reçoit d’autorisation de poursuite, 330 millions de dollars resteront gelés. 40 % de ce montant a été alloué à des agences internationales comme le Programme alimentaire mondial (WFP), l’UNICEF, l’Organisation panaméricaine de la santé (PAHO), et plusieurs agences des Nations Unies.
Le WFP, principal bénéficiaire, a reçu plus de 70 millions de dollars en 2024, ce qui accentue la dépendance alimentaire d’Haïti aux importations. Paradoxalement, cette situation contribue à l’abandon des terres agricoles par les producteurs locaux.
L’Organisation internationale pour les migrations (OIM), deuxième plus grand bénéficiaire des fonds de l’USAID, gère l’accompagnement des déplacés internes, une tâche normalement dévolue au Gouvernement haïtien. Ce programme, au budget de 39 millions de dollars, montre comment l’aide internationale remplace progressivement les structures étatiques locales.
Certaines ONG locales sont aussi touchées par ce gel. La Fondation SEROvie, spécialisée dans la lutte contre le SIDA, avait sollicité 8,8 millions de dollars, mais 2,5 millions resteront bloqués.
De son côté, Papyrus S.A., une entreprise locale de renforcement des capacités de la société civile, perd 1,4 million de dollars sur un programme de 7,5 millions débuté en 2022.
Qui profite réellement des fonds ?
Entre 2010 et 2021, seulement 3 % des financements ont été attribués à des entités haïtiennes.
Depuis 2010, 56 % des fonds alloués à Haïti ont été captés par des entreprises américaines, principalement basées à Washington D.C., Maryland et Virginie. Chemonics International, l’un des plus grands contractants de l’USAID, a reçu 1,5 milliard de dollars globalement.
Après le séisme de 2010, deux entreprises, Chemonics et Development Alternatives Inc. (DAI), ont capté plus de 20 % des fonds destinés à Haïti.
Actuellement, DAI gère trois programmes en Haïti, avec un engagement total de 25 millions de dollars, qui n’ont pas encore été déboursés. Ces programmes concernent :
1. L’amélioration du système d’eau
2. Le développement rural
3. Le secteur de l’agriculture.
De son côté, Tetra Tech, une entreprise reconnue pour ses résultats en matière de développement, a obtenu un contrat de 25 millions de dollars sur cinq ans pour le programme “Justice Renewal and Advancement”. Pourtant, seulement 5 millions ont été décaissés à ce jour. Un détail frappant : une grande partie des profits de ces contrats revient aux entreprises américaines sous forme de frais de gestion.
Par exemple, le PDG de Tetra Tech perçoit un salaire annuel de 955 000 dollars, illustrant le coût élevé des structures administratives basées aux États-Unis.
Ces chiffres confirment une réalité accablante : la majeure partie de l’aide internationale destinée à Haïti est contrôlée par des firmes américaines, laissant peu de place aux organisations locales. En d’autres termes, Haïti est l’argument de collecte des fonds, mais non le principal bénéficiaire.
Comme le dit un autre proverbe créole :
“Se nou ki swen bèt la, se yo ki bwè lèt la”
Face à cette réalité, il est urgent de réformer la gestion de l’aide internationale, en accordant une place centrale aux acteurs haïtiens. Car sans un véritable transfert de responsabilités, le cycle de dépendance et de mauvaise allocation des ressources continuera de se perpétuer, au détriment du développement durable du pays.
La rédaction
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