La nomination du diplomate mexicain Carlos Ruiz Massieu à la tête du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), en remplacement de Madame Salvador, fait couler beaucoup d’encre. En tant que nouveau Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU en Haïti, M. Ruiz Massieu arrive avec une expérience notable en Colombie, qui pousse la rédaction de Monopole à s’interroger : sommes-nous en route vers une négociation avec les groupes terroristes haïtiens ?
L’expérience colombienne : Un modèle transposable ?
Carlos Ruiz Massieu a passé six années déterminantes en tant que chef de la Mission de vérification des Nations Unies en Colombie. Son rôle était de superviser l’application de l’accord de paix historique entre le gouvernement colombien et les FARC-EP. Son mandat a été marqué par une vérification rigoureuse de l’accord, un soutien constant à la réintégration des ex-combattants, une alerte continue sur la protection des leaders sociaux et des anciens combattants, la promotion de la justice transitionnelle, et un plaidoyer pour des réformes structurelles. Son travail en Colombie est un exemple de la capacité de l’ONU à transformer des groupes armés en acteurs civils dans un cadre politique.
Le succès certes imparfait de l’expérience colombienne repose sur un pilier fondamental : l’existence d’une volonté politique mutuelle entre un État relativement stable et une guérilla aux objectifs politiques définis. Les FARC-EP, malgré leurs violences, ont accepté de déposer les armes en échange d’une participation politique et de garanties de réintégration. L’ONU est intervenue pour vérifier cet accord, non pour le négocier dès le départ avec des groupes criminels.
Haïti et “Viv Ansanm” : Une mise en garde indispensable
C’est ici que le parallèle avec la situation en Haïti, notamment avec la fédération de gangs “Viv Ansanm”, doit s’accompagner d’une sévère mise en garde. Les gangs haïtiens ne sont pas des groupes de guérilla cherchant une solution politique. Ils sont, par essence, des organisations criminelles dont le modèle économique repose sur l’extorsion, les enlèvements, le contrôle territorial par la violence et le trafic illégal. Leurs motivations sont avant tout financières et de pouvoir local, et non une transformation sociopolitique de l’État haïtien.
Toute “entente” envisagée avec “Viv Ansanm” serait d’une nature fondamentalement différente de l’accord de paix colombien. Accorder une légitimité politique ou négocier un partage du pouvoir avec des groupes dont l’identité est intrinsèquement liée à la criminalité organisée poserait des problèmes éthiques et stratégiques abyssaux :
– Risque de légitimation criminelle : Une “entente” avec ces groupes pourrait involontairement les légitimer, leur offrant une façade politique pour poursuivre leurs activités illicites.
– Absence de cadre légal solide : Contrairement à la Colombie, Haïti ne dispose pas d’un cadre juridique et institutionnel robuste capable de soutenir une “justice transitionnelle” ou de superviser une réintégration massive et complexe de milliers d’individus dont les chefs sont accusés de crimes graves.
-Danger pour la souveraineté et l’État de droit : Négocier avec des gangs armés hors de tout cadre légal risquerait de délégitimer davantage l’État haïtien et d’éroder ce qui reste de l’État de droit. Cela enverrait un message désastreux sur l’impunité et l’efficacité des gangs à extorquer des concessions par la violence.
– Un précédent dangereux : Une telle approche pourrait encourager d’autres groupes armés à user de la violence pour obtenir des “ententes” similaires.
La priorité : Rétablir la sécurité, puis reconstruire
L’expérience de Carlos Ruiz Massieu en Colombie est un témoignage puissant de ce qu’une intervention internationale peut accomplir lorsque les conditions sont réunies : un État engagé, un adversaire politique négociateur, et un cadre juridique clair. En Haïti, la priorité doit rester le rétablissement de la sécurité et le démantèlement des réseaux criminels par la force si nécessaire, soutenue par la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité (MMAS).
Ce n’est qu’après avoir affaibli significativement la capacité de nuisance des gangs et restauré un minimum d’ordre public que des discussions sur des programmes de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) pourraient être envisagées pour les membres de gangs de bas niveau qui n’ont pas commis de crimes majeurs. Ces programmes devraient toujours être menés sous l’égide de l’État haïtien et de la justice, et non sous la forme d’une “entente” politique avec des chefs criminels.
La vigilance est de mise. Les leçons de paix sont précieuses, mais elles ne doivent jamais être détournées pour justifier des compromis qui mettraient en péril la sécurité des citoyens et la survie de l’État de droit en Haïti. Le rôle de Carlos Ruiz Massieu au BINUH sera de soutenir la reconstruction institutionnelle et le développement, des prérequis essentiels à toute paix durable, qui passe d’abord par la défaite de l’anarchie criminelle.
A bon entendeur… salut !
DSB/Monopole