Face à une corruption endémique qui asphyxie son développement, Haïti a érigé en 2004 un outil institutionnel censé être un rempart : l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC). Créée par le décret du 8 septembre 2004, dans le cadre des initiatives de bonne gouvernance soutenues par la Banque Mondiale, l’ULCC est une entité autonome dotée de la personnalité juridique. Elle est la pièce maîtresse du dispositif national de lutte contre les détournements de fonds et les abus de pouvoir dans l’administration publique.
Avec la vague de corruption qui s’est abattue sur l’administration publique, certains observateurs pointaient du doigt la passivité de cet instrument mis en place pour combattre la corruption comme son nom l’indique. Depuis quelque temps, les choses semblent prendre une autre tournure. Au cours du mois de septembre 2025, l’ULCC a publié sept (7) rapports d’enquête impliquant de hauts responsables de l’Administration publique. Un signal très positif envoyé par l’institution qui entend jouer son rôle et lancer une mise en garde aux abonnés corrompus du secteur public.
Rôle : Enquêter, Prévenir, Transmettre
La mission de l’ULCC, détaillée et ambitieuse, se déploie sur plusieurs fronts cruciaux, couvrant l’ensemble du territoire national :
L’Investigation au Cœur de l’Action : L’unité a pour vocation d’enquêter sur tout acte de corruption et d’infractions assimilées (concussion, enrichissement illicite, détournement, etc.) qui touchent l’administration. Ses agents assermentés, jouissant du statut d’Officiers de Police Judiciaire (OPJ), sont habilités à collecter des preuves et à rechercher les auteurs, souvent suite à des dénonciations reçues via la ligne d’alerte “5656” ou d’autres canaux.
Un Rôle de Prévention et de Transparence : L’ULCC est également chargée d’établir un climat de confiance en promouvant la transparence. Elle travaille à la mise en place de codes d’éthique et assure la garde et le contrôle des déclarations de patrimoine des agents publics, un outil essentiel pour dépister l’enrichissement illicite.
Le Lien avec la Justice : Le rôle de l’ULCC est strictement limité à l’investigation. Elle ne jouit d’aucune attribution de poursuite ou de jugement. Une fois les enquêtes terminées, son devoir est de déférer les dossiers à la justice en saisissant les Parquets compétents, qui doivent alors prendre le relais pour engager les poursuites pénales.
Le débat crucial : L’ULCC respecte-t-elle ses attributions ?
Si la mission de l’ULCC est claire sur le papier, son efficacité réelle et son impartialité sont un sujet de débat constant en Haïti, soulevant une question fondamentale : l’unité respecte-t-elle pleinement ses attributions face aux réalités politiques du pays ?
Pour de nombreux observateurs, l’ULCC est une institution aux mains liées.
Dépendance Politique : Bien qu’autonome, l’ULCC est placée sous la tutelle du Ministère de l’Économie et des Finances (MEF) et son Directeur Général est nommé par l’Exécutif. Cette proximité avec le pouvoir politique fait craindre un manque d’indépendance et une vulnérabilité aux pressions, notamment lorsque les enquêtes ciblent de hauts fonctionnaires ou des proches du pouvoir en place. Et ce n’est pour rien que le Conseil Présidentiel de Transition veut à tout prix apporter des changements au sein de la Direction générale. Une anomalie que la nouvelle constitution entend corriger.
Le Mur Judiciaire : Le principal indicateur de l’échec n’est pas l’ULCC elle-même, mais le faible taux de poursuites et de condamnations après la transmission de ses rapports. L’ULCC produit régulièrement des dossiers solides, mais ceux-ci s’enlisent souvent dans un système judiciaire jugé faible et politisé, conduisant à une impunité généralisée qui annule l’effet dissuasif de ses enquêtes.
Des Moyens Limités : Des rapports antérieurs ont également pointé du doigt l’insuffisance des ressources humaines et financières allouées à l’Unité, limitant sa capacité à mener des enquêtes complexes et à se déconcentrer efficacement sur l’ensemble du territoire.
Malgré ces contraintes, l’ULCC continue de jouer un rôle essentiel. Chaque rapport d’enquête transmis à la justice est un acte qui expose publiquement les présumés auteurs de corruption, alimentant le débat public et la demande de redevabilité. L’Unité remplit donc son rôle légal d’investigation et de dénonciation, même si les rouages de la justice ne parviennent pas, ou ne veulent pas y donner suite.
L’ULCC est un instrument vital dans la lutte anti-corruption en Haïti, mais elle fonctionne sous une forte pression structurelle. Elle respecte ses attributions formelles en enquêtant et en transmettant les dossiers. Cependant, tant que le pouvoir judiciaire ne garantira pas l’indépendance et la diligence nécessaires pour traduire ces enquêtes en condamnations effectives, le combat de l’ULCC restera largement celui d’un Sisyphe : ses efforts constants ne suffiront pas à briser le cycle dévastateur de l’impunité et de la corruption endémique.
Au cours des vingt dernières années, des millions de dollars destinés à divers projets se sont volatilisés, sans que l’on sache réellement qui sont les véritables auteurs de ces détournements. D’anciens hauts fonctionnaires de l’administration publique ont affiché leur richesse au grand jour, ignorant totalement l’existence et les missions de l’ULCC, puisque cette institution était sous l’emprise de proches du pouvoir.
Aujourd’hui, des millions d’Haïtiens sont menacés par la faim, tandis qu’une grande partie de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Cette situation dramatique est la conséquence directe d’un pillage systématique orchestré par ceux qui avaient pourtant la responsabilité de travailler pour le bien-être collectif.
Rédaction Monopole / DSB










