Alors qu’Haïti s’enfonce chaque jour davantage dans une spirale de violence et d’incertitude, une question lancinante nous assaille : le Global Fragility Act (GFA) américain, censé apporter la stabilité, est-il la réponse adéquate ou le paradoxe d’une crise exacerbée par les armes venues de l’étranger, orchestrée dans l’ombre ?
L’île caribéenne est actuellement le théâtre d’une déliquescence sécuritaire sans précédent. Les gangs armés contrôlent de vastes pans du territoire. Le quotidien des Haïtiens est réellement rythmé par les enlèvements, les pillages et les fusillades. Au cœur de cette tragédie, ne devrions-nous pas admettre un fait indéniable : une part significative des armes qui alimentent cette violence proviennent des États-Unis ? Ce flux constant d’armements illicites est un facteur majeur de la déstabilisation, un point de friction persistant dans les relations bilatérales.
C’est dans ce contexte de fragilité extrême que le Global Fragility Act (GFA) prend toute sa signification et paradoxalement sa complexité.
Mais qu’est-ce que le GFA ?
C’est une loi américaine bipartite adoptée en 2019 qui vise à prévenir et réduire la violence et l’instabilité à long terme dans les pays jugés fragiles, en s’attaquant aux causes profondes de la fragilité. Son approche est “le gouvernement entier” si on peut s’autoriser une traduction littérale du concept ”Whole of Government” anglais, intégrant la diplomatie, le développement et la défense et toutes les agences tant nationales qu’internationales, et se concrétise par des plans décennaux pour les pays prioritaires. Haïti est l’un de ces pays prioritaires pour sa mise en œuvre.
L’arrivée récente d’un Chargé d’Affaires américain, un ancien militaire, à Port-au-Prince soulève des interrogations sur la nature réelle de l’intervention américaine. Cette nomination est un signal fort d’une approche plus sécuritaire et moins diplomatique de la crise. De plus, les rumeurs persistantes concernant l’embauche d’un groupe de mercenaires américains précédent la désignation du chargé d’affaire, pour opérer sur le sol haïtien jettent une ombre troublante sur les intentions affichées du GFA.
Ces initiatives risquent d’alimenter davantage la méfiance et la perception d’une ingérence étrangère plutôt que de bâtir une stabilité durable. Et que dire du rôle du Secrétaire Général de l’Organisation des États Américains (OEA), dont le parrainage américain est notoire ?
Sa position dans la crise haïtienne renforce l’idée que les solutions proposées sont davantage le fruit d’une influence externe que d’une réelle appropriation haïtienne des problèmes. La coordination entre ces différents acteurs est un indice d’une stratégie plus large, où le chaos actuel, alimenté par le flux d’armes provenant des États-Unis, semble paradoxalement valider la nécessité d’une intervention “musclée”.
Une solution ou une nouvelle forme d’ingérence ?
Pour ses partisans à Washington, l’ampleur du chaos en Haïti, catalysée en partie par la prolifération des armes américaines, ne fait que souligner l’urgence et la nécessité d’une intervention structurée comme celle proposée par le GFA. L’argument est clair : sans une telle approche coordonnée, la situation ne ferait qu’empirer. La crise sécuritaire, aussi tragique soit-elle, semble ainsi créer une fenêtre d’opportunité politique ou une pression accrue pour l’application de cette loi, le désespoir ambiant renforçant l’idée que “quelque chose doit être fait”.
Cependant, cette perspective est-elle réellement unanime sur le terrain ? De nombreux Haïtiens et observateurs critiques ne peuvent pas s’empêcher de pointer du doigt un paradoxe troublant. Comment un pays, dont les politiques de contrôle des armes n’ont pas empêché l’inondation d’Haïti par des armements illégaux, peut-il se présenter comme le fer de lance de la stabilisation via le GFA ? La question cruciale serait celle de la responsabilité. Le chaos actuel est uniquement le fruit de ces armes ; il est aussi le résultat d’une instabilité politique chronique, d’une corruption endémique et d’un manque de gouvernance effective, des facteurs internes qui ont miné le pays pendant des décennies.
De plus, l’histoire des interventions étrangères en Haïti est empreinte d’une profonde méfiance. Les expériences passées ont souvent été perçues comme ayant aggravé les problèmes ou comme des formes déguisées d’ingérence. Ainsi, même si le GFA vise la stabilité et une approche “gouvernement entier”, il est souvent accueilli avec scepticisme, d’autant plus que le “médecin” qui propose le remède est aussi, dans une certaine mesure, l’un des fournisseurs du “mal”.
On comprend que l’implémentation du Global Fragility Act en Haïti se déroule dans un contexte de crise aigüe, où le chaos actuel, alimenté par le flux d’armes provenant des États-Unis et par des acteurs aux profils variés, semble paradoxalement valider la nécessité de son intervention. Cette situation souligne l’urgence d’une action internationale coordonnée. Pourtant, pour que le GFA puisse réellement prétendre à la réussite et être perçu comme une solution durable, il devrait surmonter le défi immense de regagner la confiance des Haïtiens et d’adresser de manière plus exhaustive les racines complexes et multifactorielles de la fragilité du pays, au-delà de la seule réponse sécuritaire. Le temps presse pour Haïti. La véritable question est : cette intervention est-elle la solution ou une continuation des problèmes haïtiens par d’autres moyens ?
Dwetsoubouch/Monopole