Par Eddy Trofort
Frankétienne, le Mapou de la littérature haïtienne, s’en est allé…
Port au Prince, ce jeudi 20 février 2025…
Personne ne s’attendait à cette nouvelle choquante concernant Frankétienne, même si l’on sait pertinemment que l’écrivain supportait avec courage jusque-là sa longue maladie allant d’une arythmie cardiaque qui le taraudait sans cesse, à une instabilité plus globale de tout le système cardiovasculaire en général. Ce qui donnait tant à sa famille, qu’à Frankétienne lui-même, un énorme “vertige “.
En effet, la nouvelle est confirmée. Frankétienne, écrivain, dramaturge, peintre, plasticien, artisan, poète, comédien, ancien ministre de la culture appelé plutôt à son époque, Ministre des Affaires culturelles (1988, sous le règne du Président Lesly Manigat), est décédé aux environs de 5h30 PM, ce soir du jeudi 20 février 2025, dans son lit, comme il l’avait toujours souhaité.
Cette nouvelle est venue comme une hécatombe
La mort de l’écrivain et dramaturge haïtien Frankétienne, ce jeudi 20 février 2025, en sa résidence, a bouleversé non seulement le monde littéraire, mais aussi et surtout, toute la société haïtienne, qui en avait fait son idole et sa figure la plus représentative du monde artistique et littéraire. Plusieurs fois honoré de son vivant tant pour son œuvre littéraire que pour son œuvre artistique, Frankétienne a été réputé une fois pour son titre de “Trésor National “.
Un homme fidèle à ses origines
Frankétienne, de son vrai nom Jean-Pierre Basilic Dantor Franketienne d’Argent n’a jamais renié ses origines modestes. Il était donc profondément attaché à sa terre natale.
Alors que la pression de la politique de Duvalier sur la vie culturelle haïtienne s’amplifiait au fil des années, poussant la plupart des artistes à s’exiler, le poète avait fait le choix de la résistance et de la lutte par l’écriture. Ainsi, il n’avait jamais quitté Haïti qu’il portait avec lui et en lui , comme une “déchirure “, selon les mots du poète Aragon. Il était notre déchirure à nous, ce Frankétienne qui a marqué son temps et sa génération.
Il avait à un moment de la durée, poursuivi, en parallèle, sa carrière d’enseignant, tout en publiant plus de quarante ouvrages. Il était avant un maître d’école qui a formé tellement de générations aussi, tellement de jeunes à travers son école appelé Collège Frankétienne situé sur le platon (plateau) du Bel Air. Frankétienne est belairien. Ce Bel Air, natif donc du Fameux Bel Air actuel qui décline et périclite et qui se noie dans la violence urbaine et surtout dans celle des gangs armés.
Frankétienne est un créateur extraordinaire, un artiste hors pair, il prenait plaisir à répéter qu’il était peut-être l’homme qui avait commencé à voyager à l’étranger le plus tardivement.
Pour celui qui est considéré comme le père du spiralisme, un mouvement littéraire dont il avait le secret, cette expérience dans ce quartier pauvre du Bel Air l’a profondément marqué. Né en milieu rural principalement, Frankétienne s’est plongé désespérément dans la langue créole dont il a fait son cheval de batailles littéraires. Puis il a habité la langue française avec une rage. Enfin, il est devenu le maître de la langue tout court, en arrivant à Port-au-Prince, où il a été scolarisé.
Maître de la langue. Maître du langage. Maître de la parole. Maître du cri et du silence. Maître de la scène. Maître de nos souffrances et de nos espoirs. Frankétienne a ensuite intégré l’Institut des Hautes Études Internationales et, après l’obtention de son diplôme, a entamé une carrière d’enseignant, puis de directeur d’école.
Il a laissé une œuvre littéraire monumentale faite de
L’Oiseau schizophone, publié en 1998, est certainement l’œuvre la plus marquante de la riche bibliographie de Frankétienne. Cependant, des livres comme Dezafi et Troufoban ont marqué un tournant magnifique dans le bilinguisme littéraire haïtien. Frankétienne était un artiste capable de lier avec perfection les deux langues socialement opposées : le créole et le français.
Le départ de Frankétienne, ce jeudi 20 février, crée un vide qui prendra du temps à combler. C’est un mapou (arbre majestueux) qui vient de tomber.
Les lumières vont s’éteindre pour un long moment dans le monde littéraire, qui vient de perdre l’une de ses voix les plus autorisées.
Hommage à une icône
Frankétienne restera à jamais une figure emblématique de la culture haïtienne, un homme qui a su résister aux pressions politiques et sociales pour laisser une empreinte indélébile dans l’histoire littéraire d’Haïti et du monde. Son héritage continuera d’inspirer les générations futures, et son absence sera profondément ressentie par toutes celles et par tous ceux qui ont été touchés par son génie et son humanité.
Adieu Franck !
Sympathies à Marie Andrée, ta chère et tendre épouse, à tes enfants et petits-enfants, à toute famille. Sympathies à tes millions de sympathisants (es) à travers le monde!
Un Mapou est tombé. Il avait 88 ans.
Eddy Trofort