Quelle triste coïncidence !
En l’espace d’un mois, Haïti perd trois de ses plus grands poètes : Pierre Brisson, Frankétienne et, aujourd’hui, Anthony Phelps. Ce dernier est un romancier haïtien de renommée internationale. Il vivait au Canada avec sa famille dont son épouse et ses enfants.
Antony Phelps s’est éteint dans la nuit du lundi 10 au mardi 11 mars dernier à Montréal, à l’âge de 96 ans.
Anthony Phelps a contribué à fonder le mouvement Haïti Littéraire aux côtés du Docteur Willy Henriquez, l’oncle de Pradel Henriquez, écrivain, jounaliste culturel et ancien ministre de la Culture et de la Communication (mars 2020 – juillet 2021), ainsi que d’autres écrivains majeurs comme Frankétienne, Legagneur, Davertige, René Philoctête, pour ne citer que ces noms illustres.
Créé en 1960, ce mouvement littéraire visait à transformer le surréalisme, qui l’influençait fortement, tout en produisant des œuvres d’une esthétique nouvelle.
Opposant à la dictature des Duvalier, Anthony Phelps a connu la prison et l’exil. Établi à Montréal, il a livré une œuvre magistrale qui fait de lui l’un des écrivains haïtiens les plus célèbres en Amérique.
En 1995, le Ministère de la culture et de la communication dirigé alors par Jean Claude Bajeux, avait rendu un vibrant hommage aux écrivains de la Diaspora, parmi ces auteurs honorés, il y avait Anthony Phelps justement.
Le Premier ministre, Alix Didier Fils-Aimé, a rendu hommage cette semaine , à Anthony Phelps qui vient de partir pour l’éternité et qui nous a laissé ces vers célèbres conçus pour conspuer la dictature des Duvalier qui lui avait, à lui notamment et spécialement , fait énormément de mal :
” Il est venu le temps de se parler par signe…” (Fin de citation).
Phelps avait cette manière dans sa poésie chantante et profondément moderne de dénoncer les atteintes faites, en son époque qui fut celle des années 60, 70 et 80, contre la liberté d’expression et contre la liberté de parole.
Dans ce communiqué publié mercredi, la Primature exprime sa profonde tristesse et son émotion face à la disparition de ce poète majeur, romancier et diseur.
Anthony Phelps a consacré sa vie à la littérature, illuminant par ses mots les âmes de nombreux lecteurs à travers le monde.
Phelps était surtout journaliste, homme de radio et Diseur. Il a contribué en effet à vulgariser avec rage, tout un pan de la poésie haïtienne contemporaine, à un moment où l’écrivain chez nous, ne pensait qu’à sa plume pour exprimer sa colère , ses frustrations et sa quête de liberté.
Ainsi, Phelps a une voix, unique et envoûtante qui résonne dans le cœur de ceux qui ont eu l’honneur de découvrir tant son œuvre que celle de ses contemporains.
Par son art, il a su tisser des ponts entre les cultures, produisant des disques de poésie qui ont magnifiquement mis en lumière les voix de poètes haïtiens et québécois. Il a marqué de son empreinte indélébile la poésie francophone, et universelle notamment grâce à ses deux Prix de Poésie Casa de las Américas, reçus à Cuba, et grâce aussi à ses multiples distinctions, dont une plaque d’hommage décernée en 2001 par le Gouvernement du Québec lors du forum Encre noire, littérature et communautés noires, conclut par ailleurs, le communiqué signé par le Premier ministre.
Ancien directeur de Radio Cacique, qu’il a fondée en 1961 avec Jean-Claude Carrié et Roger Sanmillan, Anthony Phelps a également marqué le paysage médiatique haïtien.
“Oh, mon pays ! si triste est la raison
qu’il est venu le temps de se parler par signes !”
En janvier 1979, de retour d’exil, il retrouvait un pays ravagé, un waste land, dirait T.S. Eliot, détruit, en ruines, agonisant sous le poids de l’insécurité et du crime, écrivait Jean-Robert Hérard dans son livre Le temps des souvenirs, publié par C3 Éditions.
L’œuvre d’Anthony Phelps, traduite en plusieurs langues, dont l’espagnol, l’anglais, le russe, l’ukrainien, l’allemand, l’italien et le japonais, témoigne de la portée universelle de sa poésie. Ses écrits continuent d’inspirer, en particulier dans les grandes universités américaines telles que Princeton, Saint Michael’s College et Iowa State University, où certains de ses ouvrages sont au programme des études françaises.
Ancien journaliste à Radio-Canada, Phelps a pris une retraite anticipée en 1985, après vingt ans de service, pour se consacrer pleinement à l’écriture. Il a ainsi enrichi la littérature mondiale de plus de vingt titres qui resteront à jamais des témoins de sa passion pour la poésie et des luttes qu’elle incarne.
Aujourd’hui, Haïti perd l’un de ses plus grands ambassadeurs culturels. Anthony Phelps nous laisse un héritage littéraire qui continuera de rayonner à travers les générations.
Le poète James Noël écrit à propos de Thony :
“Mourir dans son sommeil
Ne s’appelle pas mourir
C’est se laisser glisser
Sans faire de patinage
Pour entrer dans un rêve
Un ruban au long cours
Sur lequel il est dit
Qu’il est temps, Anthony,
de reposer la voix
sur une taie d’orage.”
L’ambassade de la République d’Haïti au Canada salue la légende et présente ses sincères condoléances à la famille de Phelps ainsi qu’à toute la communauté littéraire et artistique haïtienne et internationale. On ne peut évoquer Anthony Phelps sans citer Syto Cavé, son ami de longue date.
“Ô mon pays, si triste est la saison
qu’il est venu le temps de se parler par signes…”
Ces vers d’Anthony Phelps résonnent aujourd’hui comme un adieu mélancolique à une patrie en quête de renouveau.
Yves Paul Léandre














