Certains diront que la Police Nationale d’Haïti (PNH) manque de moyens, d’autres pointeront un problème de leadership. Mais une enquête menée par Monopole lève le voile sur des enjeux plus profonds qui expliquent, en partie, la problématique sécuritaire actuelle. Il est temps de déconstruire les idées reçues et d’examiner les défis réels auxquels la PNH est confrontée.
Police et Armée : Une confusion historique aux conséquences durables
Créée en 1995 pour combler le vide laissé par la démobilisation de l’armée, la PNH a dès le départ été mal perçue par une population qui s’attendait à une approche plus musclée, comparant les policiers à des militaires et oubliant la spécificité de leurs formations. Ce mythe tenace, selon lequel “l’armée est plus efficace que la police”, persiste encore aujourd’hui, malgré des missions et des cadres d’intervention fondamentalement différents.
Alors que l’armée est principalement chargée de la défense nationale contre les menaces extérieures, opérant dans un contexte de guerre et régie par le droit militaire, la police a pour mission d’assurer la sécurité intérieure, de maintenir l’ordre public et de faire respecter la loi dans un cadre civil. La police est soumise au droit pénal, avec des règles strictes concernant l’usage gradué de la force, bien loin de la force létale employée par l’armée pour vaincre un ennemi.
Cette confusion historique entre les vocations de ces deux forces armées a été le premier faux pas dans la perception de l’efficacité de la PNH. La hâte à vandaliser les postes militaires après la démobilisation de l’armée, acte rapidement regretté, témoigne d’une vengeance malavisée dont les conséquences, comme la nécessité de reconstruire des bâtiments pour loger les policiers, se font encore sentir.
Un Effectif Insuffisant et une Dispersion des Forces
L’idée que les quelque 15 000 membres de la PNH suffiraient à assurer la sécurité est un leurre. Avec une population haïtienne avoisinant les 15 millions d’habitants, le ratio actuel est d’environ un policier pour 1 000 habitants, bien en deçà des 2,2 policiers pour 1 000 prônés par les Nations Unies.
À cela s’ajoute une érosion significative des effectifs. Pas moins de 500 policiers seraient détachés auprès de personnalités politiques ou du secteur des affaires. Pire encore, les départs via le “humanitarian parole” et le passage par le Nicaragua ont entraîné la perte d’environ 3 000 policiers. Un département qui comptait plus de 3 000 agents a vu son effectif réduit à environ 1 400, limitant drastiquement les patrouilles et la capacité d’intervention ponctuelle. Des corps spécialisés ont été décimés, perdant leurs meilleurs éléments. La démotivation et le désengagement sont également palpables, souvent liés à des problèmes de corruption au sein de la justice qui libère des criminels pourtant appréhendés par la police.
Le mythe selon lequel tout policier est un guerrier capable de se battre et d’assurer la sécurité doit être éradiqué. Certaines promotions ont été diplômées avec un entraînement au tir minimal, ne tirant que cinq balles durant leur formation à l’académie. C’est pourquoi il existe une distinction cruciale entre les policiers administratifs et les unités spécialisées, ces dernières bénéficiant d’une formation spécifique au combat. Si certains policiers non issus des unités spécialisées peuvent se battre, cela relève de l’exception qui confirme la règle.
En tenant compte des policiers déserteurs dont les chèques continuent paradoxalement d’être versés, la PNH dispose en réalité d’un nombre très limité de membres réellement aptes à affronter les groupes terroristes. Le ratio de policiers entraînés capables d’affronter les terroristes est inférieur à 5%, remettant sérieusement en question la capacité du pays à retrouver la paix.
D’un autre côté, la réalité est que les gangs terroristes, en échangeant des membres entre eux, projettent l’impression qu’ils sont beaucoup plus nombreux qu’ils ne le sont vraiment. En effet, l’attaque sur Mirebalais a été perpétrée par une collaboration de plusieurs gangs partant de Grand Ravine, de Cité Soleil, de La Saline, et des gangs de Canaan et de Croix-des-Bouquets.
Des moyens présents, une gestion à optimiser
Contrairement aux idées reçues, la PNH n’a jamais eu autant de moyens qu’aujourd’hui en termes de véhicules blindés, de munitions et d’armes. La question n’est donc pas celle de la quantité des moyens, mais de leur utilisation efficiente et efficace. L’entretien des équipements est un point crucial à aborder.
Il est impératif de réaliser un inventaire exhaustif des ressources humaines et des effectifs réels, notamment au sein des unités spécialisées. Pourquoi le responsable de la police ne se rendrait-il pas directement sur place dans les 10 départements pour constater le nombre d’absents dans les commissariats ?
Enfin, une stratégie sérieuse et professionnelle doit être redéfinie, loin des mêmes acteurs et des promesses irréalistes de sécurité ayant un plan de rétablissement de la sécurité sur leur laptop en “moins de 60 jours”. L’heure est à une approche pragmatique et à une gestion rigoureuse des ressources pour réellement transformer la PNH en une force de sécurité capable de répondre aux défis actuels.
Pour relever les défis actuels et futurs, il est crucial d’adopter une série de mesures concrètes. Il est important de clarifier la Mission de la PNH en menant une campagne de sensibilisation nationale pour éduquer la population sur le rôle distinct de la police par rapport à l’armée, en insistant sur ses missions de sécurité intérieure et de maintien de l’ordre public civil.
Il est aussi vital de renforcer les effectifs et la formation. Le Haut commandement doit lancer un plan de recrutement massif et ciblé, en accord avec les recommandations de l’ONU, pour atteindre un ratio policier/habitant adéquat. Parallèlement, il sera nécessaire de réviser et d’intensifier la formation des nouvelles recrues, notamment en matière de tir, de tactiques d’intervention et de gestion de crise, pour que tous les policiers soient aptes à leurs missions.
Il faut aussi et surtout optimiser l’allocation des Ressources Humaines. Pour ce faire, le Direction générale de la PNH doit rappeler immédiatement tous les policiers détachés auprès de personnalités politiques ou du secteur privé à leurs postes d’origine au sein de la PNH. Mettre en place un système de suivi rigoureux des effectifs pour identifier et sanctionner les absences injustifiées et les déserteurs, et cesser le versement de salaires aux policiers non présents.
Investir dans l’Entretien et la Logistique est essentiel pour l’institution. A cet effet, la DGPNH a le devoir d’établir un budget dédié et des protocoles stricts pour l’entretien régulier des véhicules, des armes et des autres équipements de la PNH, afin d’assurer leur fonctionnalité et leur durée de vie.
Une autre démarche pour renforcer la Police est l’élaboration d’une Stratégie de Sécurité Nationale Cohérente. La PNH doit développer un plan de sécurité à long terme, basé sur des données fiables et une analyse approfondie des menaces, impliquant des experts en sécurité, la société civile et les partenaires internationaux. Ce plan doit intégrer des objectifs clairs, des indicateurs de performance et un calendrier réaliste.
On ne peut concevoir une police sans renforcer la collaboration entre la PNH et le système judiciaire pour garantir que les criminels appréhendés soient jugés et punis, afin de restaurer la confiance des policiers dans l’efficacité de leurs actions.
Pour anticiper des actes de corruption des agents, il est important de promouvoir l’intégrité et la transparence. Pour cela, l’institution doit mettre en œuvre des mécanismes de contrôle interne robustes pour prévenir et combattre la corruption au sein de la PNH.
Pour démanteler les réseaux de gangs, il n’est pas nécessaire de recourir aux armes d’abord. La PNH doit mettre en place des opérations ciblées et coordonnées pour démanteler les gangs terroristes, en exploitant les informations sur leurs mouvements et collaborations. Renforcer les unités spécialisées et leur fournir les moyens nécessaires pour ces opérations mais aussi consolider le système de renseignement.
En relevant ces défis de front et en adoptant une approche stratégique et transparente, la PNH pourra véritablement se transformer en une force de sécurité efficace et digne de la confiance de la population haïtienne.
La responsabilité de l’État dans ce miasme et dans l’implémentation de ces recommandations n’est pas des moindres, avec le climat conflictuel entretenu par les membres de l’exécutif, occupés à jouer au petit soldat entre eux au lieu de donner l’exemple de l’entente à la population pour éliminer le problème de l’insécurité que traverse la nation.
DSB/Monopole













